Texte critique de Jacques Seguin

La vie ne s’efface pas, elle se transforme. Le passé, puisque présent il n’y a plus, se recompose sans cesse.

 La peinture de Frank est une reconstruction perpétuelle. Dans ses œuvres, la superposition de traces de travaux antérieurs s’étale sans artifice. Rien de ce qui a été créé, incorporé, ne disparaît totalement. Des lambeaux de peinture, des morceaux déchirés, avec leurs bords, tels des plaies non refermées, sont mises en avant sans retenue. Il n’y a rien à cacher. Ces traces sont là comme des témoignages de la difficulté de créer. Les remaniements et collages sont nombreux, mais au final la construction se présente à nous comme une évidence. C’es une peinture qui ne renonce pas, qui s’acharne. La peinture comme matière première d’une formidable digestion non plus corporelle mais spirituelle, mentale. Ce sont les reliefs d’un repas ontologique que Frank nous propose, et si le sang de ses compositions cannibales n’effraie pas c’est que cette macération intellectuelle, puis formelle, créatrice, aboutit  à l’optimisme, à  l’espoir. Rien n’est perdu. Les déchirures, violentes et aléatoires sont réconciliées par l’invention, la quête de l’artiste. Trente ans de peinture, la résilience de la volonté de créer en dépit de tout. Se servir de soi, de sa propre matière, pour aller au-delà de soi.

La démarche de Frank n’a rien d’un repli, d’un apitoiement. C’est le partage qui l’intéresse, le contact avec autrui. C’est par les yeux, fragiles enveloppes, que les sentiments peuvent pénétrer la carapace des autres, et la jouissance du monde ne s’offre à  nous qu’à condition de le regarder droit dans les yeux. Si donc les œuvres de Frank se dévoilent, s’auscultent, et parviennent à nous capter, c’est qu’elles nous regardent, nous scrutent. Des dizaines, des centaines d’yeux parsèment ces toiles. De différentes couleurs, formes, ils sont omniprésents, dans des visages qui ont déjà disparu, disloqués. Les cyclopes se prélassent, mais en vain. La beauté du monde leur est interdite. Ce monde qu’aime tant Frank, pour qui la digestion de l’existence fait renaître à chaque instant une formidable envie de vivre.